L'appartement dort. La lumière tamisée du salon filtre à peine sous la porte entrouverte, projetant des ombres douces sur les murs. Clara s'est assoupie, lovée contre lui, la respiration lente, apaisée. Thomas n'ose pas bouger. Son flanc le lance toujours, mais son esprit, lui, tourbillonne.
Il finit par se lever, doucement, laissant la couverture retomber. Pieds nus, en tee-shirt trop large et pantalon de survie, il traverse le couloir plongé dans une demi-obscurité. La soif lui râpe la gorge. Une seule idée : de l'eau.
Il pousse la porte de la cuisine, plongée dans la pénombre. Il devine les formes familières, l'évier, le frigo, une chaise... Il s'approche à tâtons, ouvre le placard, prend un verre.
Un bruit. Léger. À peine perceptible. Comme une bouteille qui glisse sur une table.
Il se retourne.
Et son cœur manque un battement.
Quelqu'un est là.
Une silhouette dans l'ombre. Féminine. Debout. Droite malgré un léger vacillement. Longs cheveux en désordre, tee-shirt ample tombant sur une épaule, bouteille à la main. Des yeux clairs, brûlants, brillants de colère — ou d'alcool.
Elle le fixe.
??? (voix froide, enrouée)
« C'est qui, toi ? »
Thomas (surpris, confus)
« Euh… je… Je suis avec Clara. »
Pas le temps de finir. Elle fonce. Une rafale. Un éclair.
Le verre vole en éclats contre le sol.
Thomas recule, mais déjà elle est sur lui. Coup de genou dans le ventre, bras qui tente de l'étrangler, poids du corps qui l'écrase. Il pare maladroitement, chute à moitié, mais la force et la vitesse de la jeune femme sont d'un autre niveau. Il comprend qu'elle ne joue pas. Elle attaque pour blesser. Pour neutraliser.
Thomas (haletant)
« Attends ! C'est un malentendu — Clara peut t'expliquer ! »
??? (serrée contre lui, voix tendue)
« Et moi, j'ai pas besoin d'explication pour démonter un intrus. »
Son avant-bras est pressé contre sa gorge. Il suffoque. Mais l'adrénaline prend le relais. Il pivote, l'attrape par la taille, tente de l'écarter. Ils roulent au sol. Un choc contre une chaise, un autre contre un placard.
Puis soudain — immobilité.
Ils ont basculé. Elle est au-dessus de lui. Genoux de chaque côté de ses hanches. Ses mains pressent toujours ses poignets au sol. Leurs visages sont à quelques centimètres. Son souffle alcoolisé lui effleure la peau. Elle transpire légèrement, mais garde une maîtrise glaciale dans le regard.
Thomas retient un grognement. Sa position est inconfortable, mais étrangement… brûlante.
Le silence s'étire.
Elle (voix plus rauque, méfiante mais intriguée)
« Pas mauvais… pour un mec à moitié crevé. »
Thomas (à bout de souffle)
« Merci, j'imagine… Maintenant, tu pourrais… descendre ? »
Elle ne bouge pas. Son regard le détaille, lentement. Trop lentement. Des cicatrices. Des muscles tendus. Un visage épuisé, mais vivant. Un battement dans ses tempes. Elle cligne des yeux.
Puis, comme si un déclic se produisait, elle relâche légèrement la pression sur ses poignets.
Elle (plus bas)
« Clara t'a laissé dormir ici ? »
Thomas (soupirant, hochant la tête)
« Elle m'a même sauvé la vie. Et soigné. »
Un silence. Elle semble peser chaque mot.
Puis elle se redresse légèrement, mais ses mains restent sur lui. Elle vacille. Trop d'alcool. Trop de tension. Et dans ce déséquilibre soudain, elle glisse.
Thomas tend les bras pour amortir la chute.
Ils se retrouvent collés, l'un contre l'autre. Torse contre poitrine. Son souffle contre son cou. Un frisson le traverse malgré lui.
Elle ne se relève pas. Au contraire, elle semble figée.
Thomas (voix rauque, les yeux écarquillés)
« Tu… vas bien ? »
Pas de réponse.
Elle lève lentement les yeux. Il sent la chaleur de son regard, la tension dans ses mains, les battements affolés sous sa peau.
Ses lèvres sont proches. Trop proches.
Elle (souffle trouble)
« C'est pas juste… »
Thomas (hésitant)
« Quoi donc ? »
Elle (voix brisée, presque vulnérable)
« Qu'un inconnu ait droit à ce regard de Clara… et que moi, j'en sois privée depuis des années. »
Elle cligne des yeux. Une larme coule. Thomas reste muet, choqué par ce qu'il perçoit – la blessure derrière l'attaque, la douleur cachée sous l'alcool et l'agressivité.
Ses lèvres frôlent les siennes.
Un instant.
Suspendu.
Il sent son souffle trembler.
Et elle s'arrête. Juste avant de l'embrasser.
Un battement de cœur. Puis un autre.
Elle se redresse d'un coup, recule comme si elle s'était brûlée.
Elle (secouant la tête, murmurant)
« Merde. »
Thomas reste au sol, hébété.
Thomas (voix douce)
« Tu n'es pas obligée de… te justifier. »
Elle se passe une main dans les cheveux, mal à l'aise. Sa silhouette semble soudain plus humaine, moins menaçante. Le tee-shirt glisse de son épaule, dévoilant une fine cicatrice au niveau de la clavicule.
Elle (d'un ton sec, pour masquer le trouble)
« T'as un prénom, le miraculé ? »
Thomas (reprenant son souffle)
« Thomas. Et toi, j'imagine… la sœur de Clara ? »
Elle (sourire amer)
« Lylia. La grande sœur revenue trop tard, trop fière et trop paumée. »
Ils se regardent. Plus d'agression. Juste une tension étrange, entre regret et reconnaissance.
Lylia (souffle plus calme)
« Bienvenue dans le chaos familial. Et… désolée pour le placage. »
Thomas (sourire timide)
« Disons que j'ai connu pire. Mais jamais aussi… gênant. »
Elle éclate d'un rire bref, rauque, fatigué.
Lylia
« Va dormir, Thomas. Et évite les cuisines sombres. Je pourrais te confondre avec un autre la prochaine fois. »
Il se lève lentement. Avant de sortir, il s'arrête sur le pas de la porte.
Thomas (doucement)
« J'ai survécu à toi. Je peux survivre à ton regard aussi. »
Elle le fixe. Ne répond pas. Mais ses yeux brillent, cette fois, d'une lueur différente.
Lylia s'adosse au frigo, les bras croisés sur sa poitrine. Son regard suit Thomas alors qu'il s'éloigne vers le couloir, visiblement encore secoué. L'atmosphère est dense, troublée, comme si l'air portait encore la chaleur du contact physique d'il y a quelques instants.
Mais alors qu'il atteint le pas de la porte du salon, un froissement de drap brise le silence.
Clara (voix ensommeillée, à peine audible)
« Thomas… ? »
Il se retourne aussitôt. Lylia dresse la tête.
Clara apparaît dans l'encadrement de la porte. Le sommeil encore au bord des paupières, les cheveux en bataille, elle cligne des yeux, confuse. Elle ne porte qu'une mini-culotte gris pâle et un t-shirt coupé juste sous la poitrine. La lumière de la cuisine, même tamisée, souligne la courbe de ses hanches et le grain de sa peau. Elle se frotte un œil, puis regarde autour d'elle.
Et elle les voit.
Thomas, le souffle court, torse légèrement tendu sous son tee-shirt.
Lylia, dos au frigo, les bras croisés, les joues rougies, le regard dur.
Clara plisse les yeux, comme si elle ne croyait pas à ce qu'elle voyait.
Clara (incrédule)
« Lylia… ? »
Lylia (voix sèche, presque accusatrice)
« Tu l'invites chez toi… tu le bandes, tu le soignes, et tu le laisses traîner torse nu en pleine nuit dans ta cuisine ? »
Un silence tombe, aussi tranchant qu'un couperet.
Clara écarquille les yeux, rougit, se raidit.
Clara (abasourdie)
« Pardon ?! Mais… Qu'est-ce que tu racontes ? »
Thomas (levant les mains, paniqué)
« Attends, non, c'est pas ce que tu crois — »
Lylia (le coupant, sarcastique)
« Ah si, je crois que j'ai tout vu. Toi allongé, moi au-dessus, et un regard de cerf en rut dans les yeux. »
Clara passe rapidement de la surprise à la colère. Elle avance vers eux, oubliant presque qu'elle est à moitié nue. Son regard transperce sa sœur.
Clara (sèchement)
« Il a failli crever, Lylia. Je l'ai ramené ici parce que c'était ça ou le laisser se vider de son sang dans une ruelle. Et toi, t'arrives, tu le tabasses, tu le bloques au sol… et tu te permets de juger ? »
Lylia (sifflement entre ses dents)
« J'te rappelle que je vis ici aussi. Un inconnu dans la cuisine au milieu de la nuit ? Je me suis juste défendue. Et c'est pas ma faute si ton blessé m'a regardée comme s'il allait… enfin bref. »
Thomas se recule d'un pas, les joues en feu. La tension dans la pièce est électrique. Il n'ose même plus lever les yeux. Clara, elle, serre les poings.
Clara (plus calme, mais glaciale)
« T'as toujours cru que je faisais n'importe quoi avec n'importe qui, hein ? »
Un silence. Lylia détourne le regard, mordille sa lèvre inférieure. Quelque chose dans sa posture vacille.
Lylia (voix basse)
« C'est pas ce que j'ai dit. »
Clara
« C'est ce que t'as pensé. Et c'est pire. »
Elle attrape Thomas par la main, sans un mot, et l'emmène doucement vers le salon. Il ne résiste pas. Lylia reste figée, seule dans la cuisine, l'air hagard.
Mais juste avant que Clara ne referme la porte derrière eux, elle lance un dernier regard vers sa sœur.
Clara (amer)
« Merci pour l'accueil. Vraiment. »
CLAC.
La porte se ferme. Lylia reste debout dans l'obscurité, la bouteille toujours à moitié pleine à la main. Son regard reste suspendu sur le bois, ses pensées tourbillonnant entre colère, gêne… et regrets.
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Dans la pièce à côté, Clara et Thomas s'installent à nouveau sur le canapé. Clara a enfilé une couverture sur ses jambes, mais son t-shirt reste court, son regard bouillant encore de la scène.
Thomas (hésitant)
« Elle est toujours comme ça ? »
Clara (fatiguée)
« Non. Parfois elle est pire. »
Ils échangent un demi-sourire. Un silence les enveloppe à nouveau, plus lourd cette fois. Les mots semblent fuyants.
Thomas (murmure)
« J'ai vraiment pas voulu… C'était pas… Elle a foncé sur moi. »
Clara (chuchote)
« Je sais. Tu m'aurais réveillée si t'avais voulu faire quoi que ce soit. »
Elle se penche, glisse une main sur son flanc pour vérifier le bandage. Doucement. Sa paume effleure sa peau. Il frissonne, encore une fois. Elle le regarde longuement, plus tendrement qu'avant.
Clara
« Dors. Je veille. Elle osera plus entrer. »
Thomas (chuchote)
« Même si elle a encore envie de me casser la figure ? »
Clara (sourire en coin)
« Je la casse avant. »
...